Maïté Potignon : Reconstituer le texte

La comparaison d’éditions anciennes (xviie-xviiie siècles)

Une mise en scène « archéologique » de L’École des femmes nécessite, avant tout, d’exhumer le texte original, enfoui sous les couches successives des différentes éditions anciennes et modernes. On pourrait penser que la lecture du texte dans sa première édition, parue dès le mois de mars 1663 — soit une dizaine de semaines seulement après la création de la pièce sur la scène du Palais-Royal, le soir du 26 décembre 1662 ­—, suffit à retrouver un tissu textuel intact, aussi proche que possible du manuscrit perdu de l’auteur.

Certes, cet imprimé hyper contemporain revêt un grand intérêt par sa proximité avec les premières représentations. Molière et sa troupe jouent la pièce au moins deux fois par semaine, sans aucune interruption, depuis la date de création sur scène jusqu’au vendredi 9 mars 1663 (après quoi la pièce sera reprise seule le 3 avril, puis avec La Critique de l’École des femmes à partir du mois de juin) : le samedi suivant, 17 mars 1663, les tout premiers exemplaires sortent des presses de Jean Hénault et Claude Blageart, deux imprimeurs parisiens.

Cette édition « témoin » sera la base, directe ou indirecte, de toutes les publications ultérieures ; néanmoins, la rapidité du travail réalisé dans les deux ateliers d’impression induit un certain nombre d’erreurs et de coquilles. Les huit marchands-libraires associés, qui furent les commanditaires pressés de cette édition, s’en rendirent compte puisqu’ils firent paraître, la même année, une seconde édition du texte qui corrige plusieurs erreurs typographiques, maladresses de composition et négligences survenues dans la première… sans oublier, toutefois, d’ajouter à son tour de nouvelles fautes. L’existence même de cette seconde édition prouve que la validité de l’imprimé original est problématique, tant pour l’exactitude du texte restitué que pour celle de la ponctuation. Une lecture comparative des deux éditions semble également insuffisante, puisqu’il est bien malaisé de distinguer ce qui, dans la deuxième édition, est effectivement une rectification du premier texte et ce qui relève à nouveau de l’inadvertance des ouvriers typographes.

Les tentatives pour rétablir le texte de L’École des femmes tel qu’on le joua sur scène entre 1662 et 1663 peuvent s’appuyer sur trois éditions parisiennes particulièrement intéressantes : l’édition originale, parue du vivant de l’auteur (L’Escole des femmes, Paris, L. Billaine, 1663), une édition posthume que l’on doit à deux amis proches de Molière (L’Escole des femmes, dans Œuvres de Monsieur de Moliere, Reveuës, corrigées & augmentées, t. II, 1682) et l’édition d’Antoine Joly, parue en 1734 dans le deuxième tome des Œuvres de Molière.

Sans revenir sur les mérites de l’édition originale, notons à présent l’intention déclarée des éditeurs de 1682 qui annoncent, dans la préface du premier volume des Œuvres de Monsieur de Moliere :

Voicy une nouvelle édition des Œuvres de feu Monsieur de Moliere, […] plus correcte que les precedentes, dans lesquelles la negligence des Imprimeurs avoit laissé quantité de fautes considerables, jusqu’à omettre ou changer des Vers en beaucoup d’endroits. On les trouvera rétablis dans celle-cy, & ce n’est pas un petit service rendu au public par ceux qui ont pris ce soin.

Ces correcteurs méticuleux ne sont autres que Jean Vivot, ami intime et biographe de Molière, et le comédien Charles Varlet dit sieur de La Grange, camarade de scène du dramaturge, qui créa le rôle d’Horace le soir de la première représentation et continua de l’interpréter pendant plus de vingt ans. Les deux éditeurs, témoins de la vie du texte sur scène de 1662 à 1682, rendent compte de l’évolution qu’ils ont pu constater par un système de notation, qu’ils expliquent dans le bref « Avis au lecteur » qui fait suite à leur préface :

Tous les vers qui sont marquez avec deux virgules renversées qu’on nomme ordinairement Guillemets, sont des vers que les Comediens ne recitent point dans leurs representations, parce que les Scenes sont trop longues, & que d’ailleurs n’est[an]t pas necessaires, ils refroidissent l’action du Theatre. Monsieur de Moliere a suivy ces observations aussi bien que les autres Acteurs.

Au total, cent-vingt vers sont ainsi signalés comme étant habituellement supprimés sur scène, du temps même de Molière. Plus de la moitié d’entre eux appartiennent au rôle d’Arnolphe, fertile en monologues, tirades et apartés. Le premier passage indiqué par des guillemets (II, 1, v. 381-384) est caractéristique du discours obsessionnel du personnage, qui revient, une fois de plus, sur sa crainte du cocuage ; le second (III, 1, v. 649-656) caricature une pratique religieuse en vogue au xviie siècle. L’un comme l’autre ont pu être retirés de la scène pour des raisons morales ou esthétiques, leur suppression permettant alors d’atténuer la verdeur et l’irrévérence de la pièce, ou bien d’alléger et de rééquilibrer sa structure interne.

La disproportion du rôle d’Arnolphe, qui prononce presque la moitié des vers contenus dans la pièce, et sa richesse en monologues, qui ralentissent l’action d’autant plus qu’ils sont souvent placés en début ou en fin d’acte, ont amené de nombreuses coupures dans les répliques du personnage : ce sont, par exemple, les vers 812 à 819 et 822 à 829 (III, 3) qui développent la psychologie obsessionnelle du personnage sans pour autant faire progresser l’intrigue, les vers 982 à 993 (III, 5) qui entérinent la rage douloureuse d’Arnolphe face à son amour contrarié, les vers 1132 à 1139 (IV, 5) et 1186 à 1205 (IV, 7) qui, bien que psychologiquement motivés, « refroidissent l’action du Theatre » en offrant une efficacité dramatique moindre qu’une scène de confrontation ou un récit d’évènements neufs.

Les guillemets qui précèdent des pans entiers de discours, dans l’édition de 1682, témoignent du désir de Molière et sa troupe de complaire aux spectateurs, en condensant l’intrigue autour des scènes les plus efficaces, les plus drôles… quitte à supprimer celles qui furent moins bien reçues du public. Une fois le premier succès passé, comme l’histoire contée dans L’École des femmes commençait à être bien connue de tous, il a pu être nécessaire, au fil des années, d’en presser le déroulement pour que le spectateur ne s’ennuie pas et soit plus rapidement comblé dans ses attentes.

Les monologues d’Arnolphe, la lecture des « Maximes du Mariage » par Agnès et le dénouement artificiel de la comédie sont ainsi écourtés au profit des passages clefs, guettés par le public. Au contraire, les scènes avec Agnès (sauf celle des « Maximes » où la jeune fille ne parle pas pour elle-même, mais pour le compte d’Arnolphe…), la scène du notaire, les interventions d’Alain et Georgette et les répliques d’Horace ne sont jamais impactées par ces suppressions de vers.

Cette volonté de resserrer l’action autour des passages les plus amusants, quiproquos, pitreries, maladresses… typiques du genre farcesque et de la commedia dell’arte, et autour des personnages les plus appréciés, soit pour leur comique intrinsèque (le duo des serviteurs) soit pour leur grâce naïve et leur délicatesse de sentiment (le couple d’amoureux), peut être en partie imputée au dramaturge lui-même. Mais on peut aussi l’attribuer, après la mort de Molière, survenue en 1873, à des continuateurs moins heureux dans leur interprétation du rôle d’Arnolphe.

Certains guillemets présents dans l’édition de 1682 pourraient alors témoigner de la difficulté des comédiens à animer correctement la comédie, et notamment le rôle très lourd, chargé de parole solitaire et non performative, que l’auteur s’était réservé de jouer. On peut penser que l’omission volontaire de certains vers sur scène résulte de l’embarras des successeurs de Molière face à la nécessité de rendre dynamiques et vivants les nombreux monologues du personnage.

Enfin, l’édition de 1682 a pour intérêt d’ajouter quelques didascalies, utiles pour préciser le(s) destinataire(s) de certaines répliques ou pour expliciter des jeux de scène datant des origines de la pièce — soit du vivant de Molière, soit moins de dix ans après son décès.

Bien que moins contemporaine, l’édition des Œuvres de Molière publiée par Antoine Joly en 1734 est également très utile par le soin qui a été consacré à sa réalisation et à l’établissement du texte des pièces qu’elle contient. À cet égard, l’avertissement au lecteur sur lequel s’ouvre le premier tome est instructif. L’éditeur y affiche une double ambition esthétique (il s’est appliqué « à orner l’édition ») et scientifique.

Conscient de la nécessité de « rendre exacte » l’œuvre qu’il publie, il signale quelques fautes qu’il a relevées dans les éditions précédentes et précise sa méthode pour les corriger :

[On] a consulté les comédies imprimées du temps de l’auteur. De pareilles éditions doivent, en quelque sorte, tenir lieu des manuscrits qui manquent. Aussi les a-t-on comparées soigneusement avec celles de 1682, & de 1730 ; & cette attention a donné lieu de réformer plusieurs altérations qui s’étoient glissées dans le texte, & dont nous ne ferons qu’indiquer un petit nombre (Avertissement, p. III).

À la lecture de cet avant-propos, on comprend que toute modification du texte entre l’édition de 1734 et celles de 1682 et 1663 ne saurait être fortuite et relève forcément d’un choix éditorial — choix de remplacer un mot par un autre, jugé plus adéquat ou plus adapté au lecteur contemporain, choix de moderniser la ponctuation ou de normaliser ses fonctions grammaticales (découpage syntaxique de la phrase), choix de standardiser l’orthographe…

Une des particularités de l’édition établie par Antoine Joly est de redécouper très précisément les scènes, dans chaque comédie, pour les faire coïncider exactement avec les entrées et sorties de personnages : ainsi, L’École des femmes publiée en 1734 contient cinq scènes de plus que la pièce originale. En outre, de nombreuses didascalies y sont ajoutées : elles détaillent les gestes, les tons de voix, les déplacements des comédiens.

Ces indications abondantes et minutieuses permettent au texte imprimé d’atteindre son but, qui « doit être de mettre sous les yeux du lecteur tout ce qui se passe dans la représentation » (Ibid., p. IX). Des jeux de scène mentionnés allusivement dans les éditions précédentes sont ainsi développés avec de nombreux détails. Par exemple, le jeu comique entre maître et valet dans lequel « Arnolphe oste par trois fois le chapeau de dessus la teste d’Alain » (éditions de 1663 et 1682, v. 222) est explicité de la sorte :

Alain. / Monsieur, nous nous… / Arnolphe ôte le chapeau de dessus la tête d’Alain. / Monsieur, nous nous por… / Arnolphe l’ôte encore. / Dieu merci. / Nous nous… / Arnolphe ôtant le chapeau d’Alain pour la troisième fois, & le jettant par terre. / Qui vous apprend, impertinente bête, [etc.] (I, 2, v. 222-223).

Cette décomposition de la didascalie d’origine permet de comprendre d’emblée le malentendu entre les personnages et la gestuelle qui rythme la scène. Les trois points de suspension qui (dé)structurent la réplique d’Alain sont immédiatement interprétables comme les trois temps d’une pantomime venant interrompre le discours du serviteur. La précision finale, plausible dès les origines de la pièce, est reprise par plusieurs mises en scènes.

D’autres didascalies, parfois héritées de l’édition de 1682, éclairent le sens de certains vers, comme l’indication « à Alain & Georgette » (éd. 1682, 1734) qui sépare les deux ordres contenus dans le vers 459 : « Venez, Agnès. Rentrez ». En effet, si l’invitation « Venez, Agnès. » est visiblement destinée à la jeune fille, le terme qui lui fait suite est ambigu et pourrait aussi bien être une simple répétition de l’appel à comparaitre d’Agnès, avec poursuite du vouvoiement de politesse (« Venez, Agnès. Rentrez [auprès de moi] »), qu’une directive collectivement adressée aux deux serviteurs : « Rentrez [dans la maison] ». La didascalie supplémentaire, judicieusement intercalée entre les deux segments par l’édition de 1682, est mentionnée par les éditeurs modernes (Gallimard, 2010, GF-Flammarion, 2011) puisqu’elle opère une utile distinction entre les destinataires des deux phrases.

Toutes les didascalies ajoutées par La Grange et Vivot sont vraisemblablement un héritage des premières représentations de la pièce, ou traduisent au moins des modifications intervenues très rapidement dans la mise en scène — et vécues de l’intérieur par un acteur de la troupe et, de très près, par un ami proche féru de théâtre. En revanche les indications scéniques ajoutées par l’édition de 1734 ne sont cautionnées par aucune proximité temporelle, professionnelle ou amicale avec le dramaturge et peuvent donc témoigner de traditions de jeu postérieures, apparues au début du xviiie siècle.

Au sein de l’avant-propos dans lequel il explique sa démarche éditoriale, Antoine Joly admet qu’il a suivi « les représentations des piéces de Moliere qui se jouent actuellement sur notre théatre [et qu’il] a encore consulté les comédiens sur ce qui auroit pû échapper » (p. X). Certaines didascalies introduites dans le texte en 1734 peuvent être invalidées par un examen attentif et délaissées par un metteur en scène fidèle au jeu originel. D’autres, attestées par des sources contemporaines à la pièce, s’avèrent précieuses pour la compréhension des lazzi et des effets comiques.

Le jeu de scène dynamique qui fait retomber symétriquement, et plusieurs fois de suite, Alain et Georgette « aux genoux d’Arnolphe » (II, 2) est détaillé pour la première fois dans l’édition de 1734 : la conformité de ces indications de jeu supplémentaires avec la description de la scène faite par Jean Donneau de Visé, dans sa pièce Zélinde (1663), rend tout à fait crédible la structure visuelle élaborée que dépeignent les didascalies additionnelles. L’édition de 1734 est également la première à restituer le « Ouf » final d’Arnolphe — atténué en « Oh ! » dans l’édition originale et toutes celles qui suivirent —, prononcé par Molière au moins dans les premières mises en scènes et commenté, entre novembre 1663 et mars 1664, par les auteurs contemporains Edme Boursault (Le Portrait du peintre), Charles Robinet (Panégyrique de l’École des femmes) et La Croix (La Guerre comique).

Si de tels témoignages, rendant compte des débuts scéniques de L’École des femmes, ne sont pas dépourvus d’intérêt pour tenter de faire revivre le texte et le spectacle d’origine, certaines caractéristiques des éditions anciennes sont également dignes d’attention pour retrouver, à travers la graphie et la ponctuation, le sens des vers et le rythme de la déclamation originelle.

De 1663 à 1734, les éditions successives de la pièce actualisent peu à peu les règles d’écriture et de composition, harmonisant notamment l’usage des caractères typographiques « u », « v », « i » et « j », qui se conforment progressivement à l’usage moderne. L’orthographe varie d’une édition à l’autre, en suivant l’évolution de la langue française ou des préférences particulières.

Ainsi l’édition de 1682 choisit la graphie archaïque « convent », héritée de la seconde édition de 1663 et imitée par la plupart des éditions du xviie siècle, à chacune des occurrences du mot « couvent » dans le texte de l’édition originale : les deux mots, dont les sens respectifs commençaient déjà à diverger, se prononçaient apparemment de la même manière. L’édition parue en 1734 rétablit quant à elle la première orthographe, à la fois adaptée au langage courant et fidèle à l’imprimé initial.

Bien qu’elle ne porte pas toujours à conséquence, la rénovation graphique du texte est parfois moins anodine que dans ce simple exemple et peut altérer la diction, l’équilibre (quantité syllabique) ou même le sens des vers. L’édition d’Antoine Joly actualise souvent les interjections vieillies, en tenant compte du sens restreint qu’elles ont pris avec le temps.

Les exclamations « Ha », « Eh », « Euh » cèdent régulièrement la place à des variantes plus polysémiques (« Ah », « Hé ») qui aident sûrement le lecteur du xviiie siècle à comprendre le ton des différentes répliques, mais qui ne sont pas adaptées à une lecture historique du texte, soucieuse d’interpréter chaque mot en fonction de sa signification à l’époque de Molière.

La volonté de modernisation aisément perceptible dans l’édition de 1734 amène parfois des changements trop brutaux, voire une adaptation forcée du texte original. Par exemple, au vers 674 (« Le Notaire qui loge au coin de ce carfour »), le remplacement de la graphie ancienne « carfour » par son équivalent moderne « carrefour » ajoute une syllabe excédentaire. Pour rééquilibrer l’alexandrin, l’éditeur abrège alors un autre endroit du vers : « Le notaire qui loge au coin du carrefour » (III, 1, p. 286).

Ailleurs, ce sont des marques caractéristiques du langage paysan qui disparaissent au profit d’une normalisation graphique, survenue parfois très tôt au cours de l’histoire éditoriale de l’œuvre. Dès 1665, le « plaisant strodagéme » dénoncé par Alain dans l’édition originale (1663, p.10, v. 211) redevient un « stratagème » prononcé en bon français et délesté par là même d’une partie de son potentiel comique. La même année, la prononciation de Georgette est rectifiée : le naïf « les biaux Monsieux ? » qu’elle adresse à son comparse (1663, p. 24, v. 442) est corrigé en un « beaux Monsieurs » plus académique. Si les éditeurs de 1665, 1666, 1673, etc. semblent gênés par les libertés linguistiques prises par l’auteur dans la transcription écrite du jeu théâtral, les éditions de 1682 et 1734 effacent elles aussi ces traces d’oralité trop singulières.

De tels partis-pris s’éloignent de la simple réfection orthographique pour amorcer de véritables tentatives de correction du texte, qui modifient le style, le lexique et l’esthétique installés par le dramaturge. L’uniformisation devient une transformation de l’énoncé : des mots archaïsants, des néologismes, des expressions jugées impropres ou vieillies sont remplacés par des termes ou des tournures plus classiques, que l’on peut supposer plus conformes aux attentes du lectorat contemporain.

On conçoit qu’une telle adaptation du texte est d’avance vouée à l’obsolescence, puisqu’il lui faudra se confronter à l’évolution constante du langage et à l’absolue volatilité de la notion de modernité. La ponctuation fait elle aussi l’objet d’une réactualisation dans l’édition de 1682 et, d’avantage encore, dans celle de 1734. Plusieurs erreurs flagrantes, probables coquilles d’impression, sont ainsi supprimées ainsi que des particularités riches de sens, spécifiques au texte de 1663.

Qu’on la doive au travail de Molière ou à la diligence de l’atelier d’imprimerie, la ponctuation d’origine améliore grandement la lisibilité de la pièce, en découpant des unités sémantiques, syntaxiques ou prosodiques dans un tissu textuel dense. Seuls quelques emplois spéciaux, à rattacher à l’ensemble de la publication théâtrale du xviie siècle, peuvent éventuellement dérouter le lecteur moderne : un usage fréquent et parfois inhabituel des deux points et du point-virgule, des points de suspension au nombre aléatoire, des virgules créant des pauses rythmiques ou sémantiques au détriment des règles de grammaire… Malgré ces incongruités, la ponctuation de l’imprimé original installe un système signalétique cohérent et varié qui accompagne le sens du texte de manière vive et efficace.

Parmi les éditions notables des œuvres de Molière, il en est une qui éclaire particulièrement la chronologie des pièces imprimées aux xviie et xviiie siècles et qui recense les principales modifications survenues dans le texte sur cette période. Les Œuvres de Molière, publiées sous la direction d’Eugène Despois et Paul Mesnard, entre 1873 et 1900, comportent d’abondantes notes infrapaginales qui répertorient de nombreuses variantes textuelles relevées dans les différentes éditions des comédies, en donnant à chaque fois la première édition dans laquelle le changement noté est apparu.

Dans le troisième tome, paru en 1876, on trouve ainsi une documentation précise autour des variations constatées dans le texte de L’École des femmes de 1663 à 1773. Pour chaque proposition qui s’écarte de l’imprimé original, on peut estimer un certain degré de fiabilité en fonction des caractéristiques (ancienneté, exactitude, qualité générale…) de l’édition qui en est la source première, et ainsi, la requalifier en correction, ajout, erreur ou infidélité délibérée au texte d’origine.

La seconde édition de 1663 introduit souvent des changements valables qui corrigent une inadvertance de l’édition précédente, mais, comme on l’a précisé plus haut, elle comporte aussi ses propres fautes d’impression et maladresses. Quand il y a une hésitation entre les deux textes imprimés en 1663, les éditions anciennes, datant de 1665, 1666, 1673 et 1674 — par ailleurs assez négligées et généralement douteuses quand elles introduisent elles-mêmes un changement —, peuvent être utiles pour corroborer l’une des deux versions, en vertu de leur proximité chronologique avec la pièce et ses premières représentations.

Outre qu’elles constituent un témoignage essentiel sur la vie du texte et son interprétation, les éditions de 1682 et 1734 peuvent, elles aussi, servir à valider ou invalider les corrections qu’apporte supposément la seconde édition de 1663 — l’une, grâce au crédit qui peut être accordé à ses deux éditeurs, l’autre, en raison de la réflexion qu’elle entreprend sur l’exactitude du texte. Concernant les incertitudes qui portent plus spécialement sur l’énonciation et l’attribution des répliques, et en particulier celles d’Horace, l’édition de 1682 paraît dotée d’un surcroît de crédibilité : on peut ainsi, vraisemblablement, lui faire confiance quand elle attribue le vers 264 (« Ny, qui plus est, écrit l’un à l’autre, me semble », p. 155) à Arnolphe plutôt qu’à Horace, comme le voudrait la seconde édition de 1663 et comme l’on fait la plupart des éditions des xviie et xviiie siècles. Il serait d’ailleurs un peu étrange que le jeune homme soit tenu informé des relations épistolaires qu’entretiennent Arnolphe et Oronte.

Il en va de même pour le premier hémistiche du vers 1477 (« Et j’aurais… / […] Attendez. »), intégralement prononcé par Agnès dans la seconde édition de 1663, mais réparti entre Horace et la jeune femme dans la publication d’origine (« Horace. / Et i’aurois… / Agnes à celuy qui la tient. / Attendez. », p. 77). Ici, ce sont à la fois les imprimés les plus anciens (1665, 1666, 1673, 1674), l’édition de 1682, cautionnée par la contribution du comédien La Grange, et celle de 1734 qui suivent le nouveau découpage proposé par les éditeurs de 1663 : « Agnes. / Je me trouverois mieux entre celles d’Horace[.] / Et j’aurois…. / à Arnolphe qui la tire encore. / Attendez. / Horace. / Adieu[, l]e jour me chasse. » (éditions de 1682 et 1734, v. 1476-1477). À nouveau, la concordance des principales éditions des xviie et xviiie siècles semble accréditer d’avantage, en cet endroit, la deuxième version du texte.

Les mises en scène modernes de la pièce attestent, encore aujourd’hui, des doutes qui subsistent entre les différentes versions imprimées de L’École des femmes. L’essentiel du « bon » texte, celui de Molière, se trouve quelque part entre les deux éditions parues en 1663. Une comparaison attentive et prudente des diverses éditions de la pièce peut permettre de suivre, autant que possible, la trace de ce texte initial.

Bibliographie :

Éditions anciennes
Éditions scientifiques
Études sur le théâtre et l’imprimé théâtral au xviie siècle
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